association nationale des parents d’enfants aveugles ou malvoyants, avec ou sans handicaps associés

L’interview de Véronique Morra : la lecture, un temps de complicité

Mai 3, 2022 | 0 commentaires

Véronique a travaillé dans plusieurs structures auprès d’enfants aveugles ou malvoyants à Lyon. Elle a été une des animatrices du projet Prélecture, langage et Représentations tout comme Christine Lyneel à Montpellier. C’est à son tour de se prêter au jeu des questions après Régine Michel, au sujet de ce projet qui a soutenu les enfants déficients visuels dans l’accès à l’écrit et au livre.

Pouvez-vous présenter ?

Je m’appelle Véronique Morra, je travaille en qualité de psychologue à Lyon depuis 2002 auprès des familles ayant des enfants en situation de déficience visuelle au sein des PEP 69.

J’ai une formation initiale en psychologie du développement. Mon sujet principal d’intérêt au cours de mes études était l’entrée dans les apprentissages premiers chez l’enfant. Je me suis donc particulièrement intéressée à tous les prérequis qui permettent d’entrer dans l’écrit, et les conséquences des différents troubles du développement. J’ai eu ensuite l’opportunité de travailler auprès des enfants en situation de déficience visuelle.

Parlez-nous du projet Pré-lecture, Langage, Représentations (PLR) pour les enfants déficients visuels…

L’écrit est un outil complexe. Ce n’est pas une simple trace de la parole et un simple exercice de correspondances entre les sons et la parole (phonèmes/graphèmes et règles orthographiques). Pour cette dimension de l’apprentissage de l’écrit, le braille remplace parfaitement l’écriture manuelle à l’encre ou la frappe sur un clavier.

L’écrit permet de communiquer à distance dans l’espace et dans le temps. Il permet également de décharger la mémoire, garder les traces des apprentissages et contribuent réellement à la structuration de la pensée. Il autorise la permanence du savoir et la mise à distance, donc facilite la réflexion métacognitive. Mais pour cela, son usage requière tout un tas de connaissances et savoir-faire transmis implicitement par les pratiques familiales et sociales, ce qui expliquent en partie les difficultés de certains enfants.

Le défi pour les enfants malvoyants et non-voyants est  d’acquérir tous les apprentissages implicites que les enfants acquièrent par l’observation visuelle des pratiques mais aussi l’implicite des textes car les mots n’expliquent jamais entièrement la pensée et l’entièreté d’un concept.

Pour développer le langage, les concepts et l’écrit, la littérature jeunesse est un support essentiel pour tous les enfants. Les images qui illustrent les histoires donnent des informations que souvent le texte ne précise pas. Elles aident à comprendre les notions d’implicite et illustre en partie les concepts. Or les images sont souvent inaccessibles.

En cherchant des références autour de la littérature jeunesse et des enfants en situation de déficiences visuelles, je suis tombée sur un article de Régine Michel sur le site de la Fédération des aveugles et amblyopes de France (FAF) qui avait lancé le projet européen Comenius. Elle recherchait des établissements partenaires pour ce projet. Nous les avons rencontrés avec Carole Malet, directrice du CTRDV. J’ai été invité à participer aux journées européennes qui sont tenues en Slovénie en 2012 puis en Irlande en 2013. Chaque pays présentait son travail autour de l’histoire « la très petite poupée » de Marie-Hélène Delval. Quatre pays présentaient des adaptations d’ouvrages, et deux pays présentaient les ateliers mis en place avec les parents autour d’albums jeunesse.

Suite à cette expérience, le CTRDV (Centre technique régional sur la déficience visuelle) / SAMS (Service d’action médico-social) se sont  intégrés à ce projet. J’ai suivi la formation proposée par la FAF avec trois autres professionnels (orthoptiste et orthophoniste). Dans le cadre de la formation, nous sommes repartis avec une malle de la « très petite poupée ». Cette malle était constituée du livre et de ses différentes adaptations, ainsi que d’objets en lien avec l’histoire.

Nous avons mis en place des ateliers avec les enfants, nous avons adapté l’outil à notre public et à nos objectifs. En effet, notre public était légèrement différent que celui initialement prévu : les enfants étaient plus grands, certains avaient des troubles d’apprentissage. Nous avons développé également une recherche action autour des interactions dans les ateliers pour enfants déficients visuels, interactions entre les enfants mais également entre les adultes et entre les enfants et les adultes. Nous avons également travaillé à une adaptation des images du livre pour qu’elles correspondent aux expériences vécues par les enfants lors des ateliers.

Aujourd’hui, quelles activités continuez-vous ?

Je ne travaille plus dans les mêmes structures des PEP mais je continue aujourd’hui à mener des ateliers au Camsp avec les enfants à partir des malles PLR. Nous en avons trois à disposition au sein de l’association : « Le panier de Lulu » et « la très petite poupée » « l’écharpe de Polochon ».

Actuellement nous  proposons des cycles sur 12 séances à un groupe de 4 à 5 enfants. Sur les trois dernières séances, nous fabriquons  les illustrations du livre avec les parents et les fratries, une séance se déroule au Tactilab.
Chaque année, nous nous adaptons aux enfants présents. En suivant toujours le principe des malles, nous nous appuyons sur de nouvelles histoires.

L’année dernière, nous avons voulu mettre d’avantage l’accent sur les habiletés sociales et la gestion émotionnelle. Nous nous sommes appuyés sur les livres « Arc-en-ciel » de Marcus Pfister (éditions NordSud). Nous avons fait beaucoup de bricolages et de manipulations, les enfants étaient déjà avancés dans l’apprentissage du langage et de l’écrit, nous avons pu faire beaucoup d’expérimentations.

Notre objectif aujourd’hui est de formaliser des séances pédagogiques autour d’outils faisant appel à la modalité auditive. La source sonore comme source de reconnaissance des propriétés des objets, l’enregistrement d’une séquence sonore d’un atelier comme objet de mémoire et de permanence d’un savoir, réflexions et manipulation des aspects non verbaux du langage … Il reste beaucoup à penser pour répondre aux besoins des enfants.

Une anecdote à partager autour de ces actions en direction des enfants aveugles ou malvoyants et le livre?

Nous disons souvent que les enfants présentant une problématique visuelle sont en situation de handicap. Mais dans les ateliers lorsqu’il s’agit de transmettre des connaissances et des savoirs faire sans pouvoir s’appuyer sur l’imitation visuelle, je me demande souvent qui se trouve le plus en situation de handicap ? C’est un excellent moyen de lâcher prise avec ses limites et ses peurs …

Quels enseignements avez-vous tiré de ce travail autour de la lecture pour les enfants déficients visuels ?

Dans n’importe quel moment, en fonction de l’endroit où nous focalisons notre attention, nous ne partageons pas tous les mêmes expériences perceptives. Ces différences de perceptions des situations sont souvent à l’origine d’incompréhension entre les individus, nous en avons rarement conscience.

Dans les ateliers, nous sommes obligés d’être attentif à l’expérience de l’autre, c’est extrêmement enrichissant.

La littérature jeunesse adaptée est vraiment un support riche et essentiel. C’est aussi un médiateur qui permet un travail pluridisciplinaire. Chaque professionnel peut y trouver un intérêt.  D’ailleurs dans chaque établissement utilisant les malles, les équipes étaient constituées de différents professionnels : orthoptiste, orthophoniste, éducateur, enseignant, psychomotricien, psychologue … Nous nous rencontrions lors de journées annuelles, et cela permettait d’échanger et d’enrichir les pratiques, nous repartions avec plein d’idées.

L’histoire et la mise en scène de l’histoire sollicite toutes les compétences nécessaires à la motivation et à l’apprentissage. Quelles que soient leurs difficultés, Je n’ai jamais rencontré d’enfants qui ne se sont pas intéressés d’une manière ou d’un autre à nos propositions.

Il est nécessaire de prendre le temps de laisser les enfants découvrir les livres et les objets, de respecter leur temporalité

Un conseil à retenir pour les professionnels qui se lancent dans l’aventure des mots avec des enfants qui voient peu ou pas du tout ?

Etre au clair avec ses intentions et ses objectifs et ensuite laissez émerger sa créativité, et se laisser aussi porter par les enfants… C’est l’occasion de stimuler l’imagination de tous : enfants et adultes. Ces temps permettent de changer de regard sur les enfants… de voir tout ce qui est possible, ils sont surprenants !

et pour les parents ?

Partager un temps de lecture c’est un vrai moment de complicité. Compléter la lecture par des objets comme nous le faisons avec nos malles cela peut être une belle source de jeux. Cela permet la mise en scène de l’histoire, et son appropriation.

Proposer des pages blanches à  illustrer ensemble, créer les illustrations tactiles des histoires permet de laisser l’enfant être créatif, de se défaire des normes visuelles, d’échanger sur les représentations de chacun, même si ce n’est pas parfait, l’important c’est que la trace soit signifiante pour lui…

Les ressources

L’interview de Régine Michel
L’interview de Christine Lyneel
Comprendre le projet PLR, Prélecture Langage et Représentations
Le site du CTRDV, Centre technique régional sur la déficience visuel
Le site du CAMSP Déficience visuelle de Villeurbanne

Les livres adaptés

Marie Hélène Delval. La très petite poupée. Bayard jeunesse. 2009.
Kris Di Giacomo. Le panier de lulu. Editions Frimousse. 2008.
Catherine Metzmeyer. L’écharpe de Polochon. In Contes d’éléphanteaux, grenouilles, souris et compagnie. Bayard éditions.
Marcus Pfister. Arc-en-ciel. Editions Nord-sud.

 

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